D.1 Apprentissage

Les neuroscientifiques et les psychologues ont fait beaucoup de progrès ces derniers temps pour comprendre comment le cerveau humain apprend. Ces découvertes ont des retombées importantes au niveau de la pédagogie. Il est donc utile de s’y attarder un peu dans le but de dégager les stratégies d’apprentissage gagnantes (et celles qui sont perdantes).

Le schéma suivant résume comment l’apprentissage se fait dans notre cerveau.

Mécanismes menant à l’apprentissage.
Mécanismes menant à l’apprentissage.
  • Nos organes des sens sont noyés en permanence dans un flux d’informations. Il est impossible de toutes les traiter avec la même attention. Ainsi, un tri est réalisé très tôt et de manière (presque) inconsciente. Tout ce qui n’est pas conservé est bien entendu perdu. Les critères qui motivent le tri de l’information considérée comme utile sont la motivation et l’intérêt. Par exemple, donner une longue explication à des étudiants avant d’avoir suscité leur motivation ou leur intérêt est contre-productif, car cette information sera filtrée et éliminée très tôt sans même être traitée ! C’est le coup classique : s’arrêter en pleine explication et demander à un étudiant au hasard, ou à un étudiant manifestement peu concentré ce qu’on vient de dire… et il est incapable de le répéter ! Donc, arriver à cette situation est en partie de la faute du professeur. Il faut qu’il prenne soin de susciter l’intérêt et/ou la motivation avant de donner des explications compliquées. Cela peut-être par une phrase du genre : attention, ce que je vais vous expliquer maintenant vous servira pour faire X ou Y plus tard… ou soyez bien attentifs, la procédure suivante est cruciale pour la réussite de l’exercice…. Cela est également valable dans le matériel pédagogique où il faut bien préciser les objectifs en début de section (et que ces objectifs fassent écho -motivation ou intérêt- dans la tête des étudiants).

Ce qui n’est pas perçu comme “utile” par l’étudiant au moment où cela est formulé est immédiatement oublié… C’est ce processus de tri de l’information pertinente qui en est responsable !

  • Une fois le filtre du tri franchi, l’information à traiter arrive dans la mémoire de travail à court terme. Cette mémoire permet un traitement rapide de l’information, mais elle est limitée ! Selon les individus et/ou les circonstances, elle ne dépasse pas l’équivalent de 7-9 “cases” maximum. Il vaut mieux même considérer cinq cases disponibles. Chaque case est capable d’accueillir une information à traiter. Cela signifie qu’il faut éviter d’amener trop de difficultés à la fois. si le problème est complexe et nécessite l’assimilation de nombreuses nouvelles notions, il faut alors découper le problème en plusieurs étapes plus simples. Il faut aussi faire attention qu’un certain nombre de ces cases peuvent se remplir par des éléments parasites. Par exemple, un étudiant qui doit installer un logiciel sur son ordinateur, mais qui se bat avec l’écran de login parce qu’il ne l’entre pas correctement, ou parce qu’il n’arrive pas à retrouver son mot de passe, va concentrer son attention et une partie de son “espace de travail” à résoudre ce problème de login. Ensuite, l’espace de travail utilisé ne sera pas directement réutilisable pour la tâche désirée (installation du logiciel). L’étudiant va se sentir débordé par les informations et en conclura qu’il est nul en informatique. Si le même étudiant avait pu se logger directement sans problèmes, il n’éprouverait peut-être pas de telles difficultés.

Il faut toujours garder à l’esprit la taille très limitée de l’espace de travail dans notre cerveau, et ne jamais amener trop de notions nouvelles et/ou difficiles d’un coup. Il faut aussi apprendre à identifier les situations où les étudiants sont saturés d’information. Dans les deux cas, il faut décomposer alors le problème en étapes successives plus simples et attaquer étape par étape.

  • Si l’information arrive dans l’espace de travail du cerveau de l’étudiant, ce n’est pas encore gagné pour autant. Il faut en effet bien évidemment qu’il soit capable de traiter le problème. S’il est dans une impasse, tout s’arrête-là ! Donc, il faut adapter le niveau de difficulté aux connaissances et au potentiel de l’étudiant. La difficulté ici, c’est qu’une classe est hétérogène. Donc, le niveau de difficulté acceptable n’est pas le même pour tous. Varier le matériel pédagogique et proposer des exercices de niveaux de difficulté différents permet de résoudre ce casse-tête, mais c’est aussi crucial pour l’apprentissage pour une autre raison (voir ci-dessous).

  • Une fois l’information traitée, elle ne mène pas nécessairement à un apprentissage pour autant. Notre cerveau a évolué au cours du temps pour économiser ses ressources. Ainsi, ce qui est trop facile à traiter ne mérite pas d’être appris. En effet, dans ce cas on est capable de refaire le même raisonnement facilement si la situation se représente. Donc, notre cerveau va éviter de mémoriser des éléments qui paraissent trop simples (le verbe “paraître” est important, car il fait intervenir une sensation…. qui peut être erronée et faire alors perdre la possibilité d’apprendre un concept important).

  • Ainsi une des conditions nécessaires pour que le concept étudié soit transféré dans la mémoire à long terme est qu’il soit raisonnablement difficile (sinon, il ne sera pas digne d’être mémorisé), mais pas trop (si l’étudiant ne peut pas résoudre le problème auquel il fait face, il ne peut rien mémoriser d’utile bien évidemment).

Adapter le niveau de difficulté des activités proposées est à la fois complexe (à cause de l’hétérogénéité des classes) et indispensable pour que le mécanisme d’apprentissage s’enclenche. Une façon d’arriver à un niveau de difficulté adéquat, ni trop simple, ni trop difficile, consiste à reporter partiellement cette tâche sur l’étudiant lui-même. Si l’étudiant devient (partiellement) responsable de son processus d’apprentissage, il pourra ajuster partiellement de lui-même le niveau de difficulté (choix des exercices, de leur ordre, de leur timing, avoir recours à l’entre-aide…)

Une approche complémentaire indispensable consiste à varier le niveau de difficulté des exercices proposés autour d’un même concept. Les étudiants les moins performants apprendront avec les exercices les plus simples, même s’ils bloqueront probablement sur les cas les plus complexes. D’un autre côté, le génie survolera ces exercices simples sans rien apprendre, mais s’attardera de manière utile sur les exercices plus difficiles, et c’est là qu’il apprendra le mieux.

  • Une autre condition indispensable pour que le mécanisme d’apprentissage s’enclenche, c’est d’être actif. Or, écouter un professeur déblatérer sa matière devant un grand auditoire, visionner une vidéo, et parfois même, lire un long texte continu, ce n’est pas être actif. L’information “glisse”. On dit quelle “entre par une oreille et ressort par l’autre”. Et c’est vraiment pratiquement comme cela que cela se passe : le mécanisme d’apprentissage n’est pas activé. Par contre si l’étudiant fait quelque chose pendant ce temps-là, quand il est actif, alors il apprend. Le paradoxe, c’est que l’activité ne doit pas nécessairement être liée à la matière à apprendre. Par exemple, un parent qui cherche à aider son enfant pour apprendre ses devoirs en répétant avec lui sera énervé si l’enfant joue à un jeu vidéo en même temps… Pourtant, c’est l’enfant qui a raison : il est actif (sur son jeu), donc il apprend (sa matière) ! Ce n’est pas logique, mais ainsi fonctionne notre cerveau.

La pédagogie active vise à activer ce mécanisme d’apprentissage par l’activité autant qu’elle reporte la responsabilité de choix de difficulté et de mécanisme d’apprentissage sur l’étudiant lui-même qui doit développer une certaine autonomie pour mettre en place les conditions qui font que, pour lui, l’apprentissage sera optimal. Les enseignants doivent encourager cela. Certains psychopédagogues modernes sont très critiques sur l’enseignement via les grands cours ex cathedras en université. Certains disent que c’est la meilleure méthode pour que la matière passe directement du PowerPoint du prof à la feuille de notes de l’étudiant sans passer par le cerveau du professeur, ni par celui de l’étudiant. Le mécanisme d’apprentissage est pratiquement inexistant ici, et c’est plus tard, en remettant de l’ordre dans ses notes de manière active que l’étudiant apprendra véritablement la matière.

  • Un dernier point important pour l’apprentissage est la répétition. Pour qu’un concept s’imprime durablement dans le cerveau, il faut que les connexions synaptiques soient activées et réactivées plusieurs fois. Ceci est un concept connu depuis longtemps en pédagogie, mais qui est parfois mal appliqué. Car si cette répétition est monotone, elle est ennuyeuse. Et alors, la motivation et l’intérêt de l’étudiant sont en chute libre… au point que l’information répétée peut très bien ne plus passer la première barrière du tri. Dans ce cas, la répétition ne sera plus d’aucun effet bénéfique.

Il faut répéter les concepts pour qu’ils s’ancrent durablement dans le cerveau des apprenants. Mais cette répétition ne doit pas être monotone. Donc, il faut multiplier les méthodes de transmission du concept. Le multimédia permet de varier (texte, image, son). On peut aussi diversifier les exercices, approcher de manière ludique, inventer des challenges, etc. Donc, cette répétiton passe encore une fois par la diversité du matériel pédagogique fourni à l’étudiant autour d’un même concept.

Un leitmotiv, on le voit très clairement ici, qui ressort de tout ceci est qu’il faut diversifier le matériel pédagogique autant que possible. C’est notre objectif dans la plateforme pédagogique LearnIt:RR, et c’est pour cela que nous proposons de nombreux outils différents qui ne ressemblent pas du tout à un syllabus qui contient du texte et des images statiques, accompagné de PowerPoints qui contiennent aussi du texte et des images statiques (ou pire, des “animations” qui n’apportent rien à l’apprentissage… la fameuse mort par PowerPoint).

Il n’y a pas que les psychologues et les spécialistes du cerveau qui ont fait des progrès dans la compréhension des mécanismes d’apprentissage. Les techno-pédagogues ont aussi développé des nouvelles techniques et d’autres outils pour mieux apprendre. C’est l’innovation pédagogique dont nous allons reprendre certains éléments dans la section suivante qui nous ont paru importants dans l’élaboration de la plateforme pédagogique LearnIt::R.